par Sébastien GOULARD
Le phénomène « Labubu » a conquis tous les continents et on retrouve ces peluches sur les sac-à-dos et sacs à main des jeunes et moins jeunes du monde entier. Si cette tendance illustre la réussite d’une entreprise chinoise, elle pourrait poser des défis stratégiques pour Beijing sur le long terme.
Les peluches « Labubu » sont nées en 2015 mais il faut attendre la collaboration avec le groupe Pop Mart pour que ce jouet, pour enfants et adultes, connaisse le succès. Les figurines « Labubu » peuvent être achetées dans les magasins de la chaîne ou sur internet.
Lung Kasing, un artiste entre Asie et Europe
L’inventeur de ces peluches est l’artiste d’origine hongkongaise Lung Kasing. Il passe une partie de son enfance aux Pays-Bas, à Utrecht où ses parents tiennent une entreprise de traiteurs. Lung Kasing fait face à des difficultés d’apprentissage de la langue hollandaise et un de ses professeurs l’encourage à lire des romans pour jeunes adultes avec illustrations pour se familiariser avec la langue. Il va alors se plonger dans les contes et légendes du folklore d’Europe du Nord et de Scandinavie. L’œuvre de l’artiste et particulièrement les figurines « Labubu » vont être profondément marquées par cet héritage européen, ainsi que par les romans d’arts martiaux chinois que Lung Kasing affectionne.
Après des études d’art, il s’installe à Hong Kong et travaille de 1995 à 2003 pour l’agence publicitaire Culturecom. Il va par la suite revenir en Europe où il recevra un premier prix. Mais c’est en 2010 que l’artiste découvre sa véritable passion et devient designer de jouets. Il travaille alors pour la marque How2Work. En 2015, Lung Kasing entame sa série « The Monsters » d’où sont tirées les figurines « Labubu ». L’artiste présente son œuvre à Hong Kong puis à Taiwan avant de signer un contrat d’exclusivité avec l’entreprise Pop Mart qui, grâce à une stratégie marketing particulièrement efficace va transformer les illustrations « Labubu » en phénomène de société que l’on s’arrache sur toute la planète.
Des peluches appréciées des artistes
Le succès des « Labubus » provient en partie du fait que d’autres artistes notamment de la scène musicale se sont emparés des figurines de Lung Kasing et vont les populariser auprès de leurs publics. L’une des premières artistes, avec Rihanna, à s’être affichée avec un « monstre » Labubu est Lisa, la chanteuse et comédienne thaïlandaise, membre du groupe de K-Pop Blackpink qui connait alors un succès phénoménal dans toute l’Asie et au-delà. Ce n’est pas la seule personnalité à faire connaitre les « Labubus », elle est bientôt rejointe par Madonna, Cher, Kim Kardashian, ou encore, peut-être plus surprenant, par l’acteur espagnol Javier Bardem.
En partageant leur « Labubu » sur leur compte Instagram, ces stars promeuvent les peluches vers différents types de publics. L’entreprise Pop Mart qui commercialise les « Labubus » s’appuie fortement sur cette stratégie virale pour faire des « Labubus » un accessoire tendance.
L’industrie du luxe
Les stars ne sont pas les seules à avoir adopté ces peluches « joliment moches ». Pop Mart a multiplié les collaborations avec les grandes Maisons du luxe comme Valentino, pour des éditions spéciales et les grands magasins comme Harrod’s à Londres et Les Galeries Lafayette à Paris. Des points de vente « Labubu » sont aussi installés à proximité des grands musées comme le Louvre.
Mais l’image plutôt luxueuse des Labubu vient du fait que ces peluches sont souvent associées avec des sacs à main de marques prestigieuses comme Hermès ou Chanel, ce sont les stars et les influenceurs qui sont à l’origine de cette accessoirisation des Labubus. Ce mariage arrange les grands groupes du luxe qui y voient une opportunité de rajeunir leur clientèle en rafraichissant leur image.
La peluche pour tous
Si Labubu parle à beaucoup de publics différents, c’est que la peluche n’est pas que Kawaï comme sa grande sœur « Hello Kitty », mais fait passer un message d’acceptation de soi. Avec leurs grands yeus, leurs oreilles pointues et leurs dents acérées, elles ne véhiculent pas les canons d’une beauté parfaite, mais plutôt ceux d’une beauté ambivalente qui s’adapte au large spectre de nos émotions. On peut tous se reconnaitre dans les peluches Labubu. L’un des défis auquel sera confronté Pop Mart dans les prochains mois sera de conserver cette image avant-gardiste à mesure que les Labubus soient adoptées par d’autres segments de la population.
Le succès de Pop Mart
Pop Mart, entreprise chinoise basée à Beijing a construit son succès sur la vente de figurines et peluches de nombreuses franchises à travers des « boites mystère », et collaborent avec des artistes internationaux.
Le modèle de vente de Pop Mart a largement contribué au succès des Labubu ; il s’appuie sur les « blind boxes » ou boîtes mystères, le client ne sait pas exactement sur quel modèle il va tomber. L’objectif bien sûr pour lui est d’avoir comme surprise une peluche parmi les plus rares.
Tout comme l’ouragan Shein qui a bouleversé le monde de la mode, la réussite de Labubu est basée sur un modèle disruptif qui est largement critiqué. Le phénomène des blind boxes est particulièrement populaire en Chine, où le concept est repris pour de nombreux produits, y compris les crèmes glacées. L’ouverture des boîtes (unboxing) cartonne sur les réseaux sociaux, la mise en scène de l’unboxing permet de faire de nombreuses vues. Cependant le concept de « boîtes mystère » est critiqué par certains psychologues car il s’appuie sur une éternelle insatisfaction des consommateurs, et entraine une certaine addiction sur le même modèle que les casinos. Pop Mart dont les ventes de Labubus ont atteint près de 670 millions de dollars pour le premier semestre 2025 (soit presque le double que les ventes de Barbies – 374 millions de dollars durant la même période) s’adresse en priorité aux adolescents mais aussi adultes, contrairement à la plupart de ces concurrents de l’industrie du jouet qui visent les enfants. Sa cible possède plus de moyens financiers et peut « construire » des collections de Labubus.
Les « Labubus » un sujet politique ?
Aujourd’hui, les « Labubus » restent des jouets ou au mieux des accessoires de mode qui n’ont rien de subversifs. Mais leur succès pourrait avoir des conséquences diplomatiques et politiques pour la Chine.
Comme nous l’avons vu, les » Labubus » sont nés de l’imagination d’un artiste sino-hollandais et vendus par un nouveau géant du jouet, le chinois Pop Mart. Mais comme d’autres succès chinois, l’accueil par les autorités étrangères n’est pas toujours au rendez-vous. Les figurines Labubus ne plaisent pas à tous, ou au contraire plaisent trop et la tendance pourrait être instrumentalisée par certains.
A Singapour, un parti politique, le People Action Party, à la tête du pays depuis 1959, a utilisé les figurines « Labubu » pour attirer les plus jeunes électeurs lors des élections d’automne 2024.
Comme toute tendance sur les réseaux sociaux, le phénomène des « Labubus » peut entrainer des incidents. La mise en scène de ces peluches dans des lieux insolites, dans le but de faire des vues, peut déboucher sur la fuite d’informations stratégiques. Au mois d’août, un pilote russe a posté une photo d’un Labubu dans le cockpit de son Sukhoi Su-34.
Mais au-delà de ces incidents, des autorités ont commencé à s’interroger sur une possible interdiction de la vente de ces peluches. C’est le cas par exemple en Irak où la ville d’Erbil a interdit la vente des Labubus qui véhiculeraient selon les autorités locales une mauvaise image auprès des enfants. C’’est aussi la position de certains députés russes qui souhaiteraient voir les « Labubus » interdites. En Inde, des autorités religieuses mettent en garde leurs fidèles contre les « Labubus ». D’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Corée du Sud ont suspendu un temps les ventes des fameuses peluches dans les magasins Pop Mart pour mettre fin à des risques de sécurité (des bagarres entre clients éclataient dans les boutiques)
La Chine elle-même s’interroge sur la frénésie des « Labubus » et a interdit notamment à des banques locales d’offrir des « Labubus » pour attirer de nouveaux clients.
Le succès des « Labubus » a causé l’apparition de contrefaçons appelées « Lafufus », elles aussi fabriquées en Chine. L’absence de contrôle pourraient rendre les Lafufus dangereuses pour les consommateurs, c’est en tout cas ce qu’ont jugé les autorités américaines.
Enfin l’entreprise Pop Mart forte du succès des « Labubus » pourrait envisager de nouveaux projets et présenter des ambitions élevées pour devenir un géant de l’industrie du jouet ET de l’entertainment, à l’image de Disney. L’entreprise américaine a récemment dévoilé une nouvelle coopération avec le fabricant japonais de peluches Urupocha-Chan qu’elle distribuera dans ses magasins. Pop Mart sait que la vague « Labubu » pourrait s’essouffler et qu’elle devra offrir de nouveaux produits/services qui viendront concurrencer d’autres acteurs.
Le succès des « Labubus » et de Pop Mart n’est pas qu’un sujet de de peluches, ni même d’art, il a des répercussions politiques et géopolitiques que la Chine devra envisager pour soutenir ce nouveau géant du secteur.
Sebastien GOULARD
Sébastien Goulard est consultant chez Cooperans, cabinet de conseil spécialisé en relations internationales.
Il est également le fondateur de Diplomarty.
Sébastien Goulard est titulaire d’un doctorat en études de développement régional de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il a participé à plusieurs programmes de recherche européens axés sur l’urbanisation durable en Chine.