Le festival international du Film de Pingyao et les ambitions cinématographiques chinoises

Le Festival international du film de Pingyao, fondé par Jia Zhangke, incarne les ambitions cinématographiques de la Chine.

par Sébastien GOULARD

Le 30 septembre 2025, s’est achevée la 9e édition du Festival international du Film de Pingyao, ou Festival « Tigre et Dragon » de Pingyao. Ce festival, né sous l’impulsion du réalisateur Jia Zhangke est aujourd’hui reconnu internationalement pour la qualité de sa programmation et pour sa capacité à mettre en lumière de nouveaux talents du cinéma chinois. Ce festival permet à la Chine de continuer à compter dans le secteur du cinéma indépendant, et participe ainsi au soft power de Beijing.

Les lauréats 2025

Cette année, un film taïwanais et un autre irakien se partagent les honneurs. Le réalisateur taïwanais Shen Ko-shang a reçu le prix Fei Mu de la section « Hidden dragons » du festival pour son film « Deep Quiet Room », drame familial qui explore les traumas d’un couple. Le prix « Fei Mu » récompense de jeunes réalisateurs de langue chinoise pour une première ou seconde œuvre. Son nom est un hommage au réalisateur chinois Fei Mu (费穆). Fei Mu (1906-1951) est considéré comme l’un des tous premiers réalisateurs chinois. Il est l’auteur de « Song Of China » (1935), l’un des premiers films chinois à être sortis aux Etats-Unis. Ce n’est pas un artiste engagé, lorsque les Communistes arrivent au pouvoir en 1949, Fei Mu se réfugie, avec de nombreux acteurs à Hong Kong où il décédera en 1951. Son œuvre est redécouverte en Chine au milieu des années 1980. Il symbolise un cinéma chinois ouvert sur le monde et fédérateur.

Le prix « Roberto Rosselini » de la section « Crouching tigers », qui récompense de jeunes réalisateurs étrangers a été décerné à Hasan Hadi pour son film intitulé « Le gâteau du Président », qui suit l’histoire d’une écolière chargée de préparer le gâteau d’anniversaire de Saddam Hussein. Le réalisateur avait déjà remporté le trophée du meilleur premier film au dernier festival de Cannes.

D’autres prix ont été distribués (la liste peut être consultée ici). Pour la première fois, a aussi été distribué un prix du réalisateur chinois de l’année, qui a été remis à trois réalisateurs qui ont chacun reçu une récompense à l’étrangers, ainsi les lauréats de ce prix sont Huo Meng, Ours d’argent de la réalisation pour « Le temps des moissons », Bi Gan, prix spécial du jury du festival de Cannes pour « Résurrection », et  Cai Shangjun pour « Le soleil est haut dans le ciel » dont l’actrice principale Xin Zhelei a reçu le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise. Cette nouvelle distinction montre l’attention à un cinéma chinois de qualité reconnu par ses pairs à l’étranger.

De grandes ambitions

Le festival de Pingyao est né de la volonté Jia Zhangke, illustre réalisateur de « Still life » Lion d’or à la Mostra de Venise en 2006 de développer un festival indépendant en Chine. Jia Zhangke incarne toute la complexité du cinéma chinois contemporain. Après son premier film «  Xiao Wu, artisan pickpocket » (小武) sorti en 1997 est récompensé l’année suivante au festival de Berlin, les autorités chinoises lui refusent l’autorisation de tourner en Chine, Jia Zhangke va donc contourner cette interdiction et réaliser des films underground, dans lesquels il pourra montrer tout son talent. Ce n’est qu’à partir des années 2000, avec une certaine libéralisation du cinéma en Chine, que l’œuvre de Jia Zhangke pourra prendre toute sa mesure. Sa consécration en 2006 à la Mostra change ses rapports avec le pouvoir chinoise. Il devient en 2018 député de l’Assemblée nationale populaire, cet engagement ne l’empêche pas de s’exprimer contre la censure cinématographique dans son pays.

Tel Robert Redford et son festival de Sundance dans l’Utah, Jia Zhangke crée en 2017 le festival de Pingyao, une ville chère à son cœur. Pour cela, il s’associe avec Marco Müller, qui a dirigé plusieurs festivals cinématographiques en Europe, et qui devient le directeur artistique du festival de Pingyao. Le festival se veut un carrefour entre l’Orient et l’Occident, comme le reflètent les deux sections de sa sélection. Les films projetés proviennent à la fois de Chine et de l’aire culturelle chinoise, mais aussi du monde entier, ce sont des œuvres éclectiques qui révèlent la complexité de notre monde.    

On peut noter que le festival de Pingyao porte aussi officiellement le nom de Festival international du Film de Pingyao Tigre et Dragon » (Pingyao Crouching Tiger, Hidden Dragon International Film Festival), après que le réalisateur Ang Lee ait donné l’autorisation d’utiliser le titre de son plus grand succès. Cette appellation reflète bien l’ambitions du festival qui espère servir de tremplin pour des films chinois vers l’étranger. 

Les festivals de films en Chine

Pingyao n’est pas l’unique ville chinoise à accueillir un festival cinématographique. Beijing et Shanghaï ont toutes les deux leur propre festival, créés respectivement en 2011 et 1993 qui sont reconnus au niveau international. D’autres villes comme Guangzhou ou Changchun organisent elles-aussi des évènements cinématographiques dont la renommée s’étend.

Il s’agit pour ces villes d’accroitre leur capital culturel et artistique et de rivaliser avec d’autres villes en Europe ou aux Etats-Unis. Pingyao a clairement choisi de se distinguer en se spécialisant dans un cinéma sans concession et exigeant, qui récompense des films indépendants. Ce festival permet d’une certaine manière à la Chine de conserver un espace pour des films plus dérangeants, et de promouvoir des films chinois qui présentent une valeur artistique majeure.

Pingyao, une renaissance

Le choix de Pingyao n’est pas anodin. C’est aujourd’hui une ville touristique au centre de la province du Shanxi. Son centre historique préservé et inscrit au Patrimoine de l’Unesco attire les touristes de toute la Chine venus y découvrir ses remparts et ses temples. Elle offre une dimension artistique et culturelle forte.

Mais Pingyao n’est pas n’importe quelle ville touristique chinoise, si elle présente un patrimoine architectural majeur, c’est que pendant longtemps elle a été le centre financier de la Chine. C’est à Pingyao que sont apparus les premiers établissements bancaires chinois. Avec son festival, Pingyao défend le rang de la Chine le secteur des films indépendants sur la scène internationale. Les films présentés et récompensés ne sont pas des blockbusters et ne dominent pas le box-office, mais présentent des qualités artistiques indiscutables et ainsi le festival du film de Pingyao fait de la Chine un acteur incontournable dans ce secteur culturel. 

Sebastien GOULARD

Sébastien Goulard est consultant chez Cooperans, cabinet de conseil spécialisé en relations internationales.

Il est également le fondateur de Diplomarty.

Sébastien Goulard est titulaire d’un doctorat en études de développement régional de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il a participé à plusieurs programmes de recherche européens axés sur l’urbanisation durable en Chine.

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