par Sébastien GOULARD
Lors de son déplacement au Royaume-Uni début juillet, le Président français Emmanuel Macron a annoncé que la tapisserie de Bayeux, chef-d’œuvre du XIe siècle inscrit au registre « Mémoire du Monde » de l’UNESCO, serait prêtée au Royaume-Uni pour être exposée au British Museum à partir de début 2026 pour une période d’un an.
Le Président français avait déjà formulé ce vœu en 2018 lors du sommet franco-britannique de janvier 2018 pour renforcer les liens entre Paris et Londres, ce prêt pourrait donc se réaliser avant la fin du second mandat du Président Macron.
Une œuvre unique
La tapisserie de Bayeux est une œuvre marquante du XIe siècle qui retrace de manière allégorique l’histoire de Guillaume le Conquérant et sa conquête de l’Angleterre avec la bataille d’Hastings en 1066. Le récit brodé sur une toile en lin sert à légitimer le règne de Guillaume le Conquérant, notamment en dénonçant le parjure d’Harold dernier roi anglo-saxon couronné à la place de Guillaume, duc de Normandie. La tapisserie montre un moment majeur de l’histoire des îles britanniques. Le nouveau roi mène de nombreux changements en Angleterre et fait construire la Tour de Londres.
On ne sait pas qui a produit cette broderie de 68 mètres de long sur neuf panneaux, mais son commanditaire semble être Odon, comte de Kent, demi-frère de Guillaume le Conquérant.
Cette œuvre, grâce à ses nombreux détails, permet d’avoir une idée assez précise sur les conditions de vie, l’habillement et les armes au XIe siècle. Elle témoigne enfin des liens forts entre l’histoire de l’Angleterre et l’histoire de France.
Une première pour la tapisserie
En raison de son extrême fragilité, la tapisserie de Bayeux n’a été que très peu déplacée par le passé. En fait, elle n’a été transportée qu’à deux reprises. En 1803, la tapisserie est exposée au Louvre par Napoléon alors que l’Empereur cherche à légitimer son pouvoir sur l’ensemble de l’Europe. Puis, durant la Seconde Guerre Mondiale, l’œuvre est transférée au dépôt des Musées nationaux de Sourches, puis au Musée du Louvre sur ordre de l’occupant allemand. A la fin de la guerre, lors de la libération de Paris, les Allemands tentent de faire main basse sur la tapisserie. En 1945, l’œuvre est ramenée à l’hôtel du Doyen à Bayeux. Depuis1983, elle est exposée au centre Guillaume le Conquérant dans la même ville.
Un voyage contesté
L’annonce du Président français ne fait pas consensus et la communauté scientifique a déjà fait part de son inquiétude à propos d’un éventuel transport de la tapisserie de Bayeux. En effet, les historiens et scientifiques doutent de la faisabilité d’une telle opération en raison de la fragilité de l’œuvre. Un déplacement pourrait abîmer de façon irréversible l’œuvre quasi-millénaire. La frise fait près de 70 mètres de long et ne supporterait pas d’être pliée.
Malgré la position des experts, le Président Macron a confirmé le prêt au British Museum de septembre 2026 à juin 2027. Cette décision est critiquée par l’opinion publique, des pétitions ont été lancées contre un tel déplacement-, qui y voient la décision d’un Président omnipotent qui fait fi de l’avis de scientifiques. Si la tapisserie venait à être endommagée durant ce prêt, on se souviendrait alors d’Emmanuel Macron comme le Président qui a sciemment mis à mal le patrimoine de la France. C’est un risque que Président Macron à décider de prendre
Du côté du Premier ministre britannique Keir Starmer, ce prêt serait interprété comme une victoire puisque nombre de ces prédécesseurs avaient déjà fait la demande d’un tel prêt à la France, sans résultat.
Le précédent de la Joconde
Des journalistes du Monde ont fait le parallèle avec la Joconde de Léonard de Vinci qui avait elle aussi été prêtée aux Etats-Unis et exposée à la National Gallery of Art de Washington, puis au MoMA à New York en 1963. Cette décision avait été prise par le Général de Gaulle afin de renforcer les relations avec les Etats-Unis dans un contexte de guerre froide. Près de 1,6 millions d’Américains, après avoir attendu des heures, vont découvrir le mystérieux sourire de Mona Lisa. Les experts du Louvre s’opposent à ce voyage, estimant que les risques étaient trop importants. Mais le ministre de la Culture Andrée Malraux déclare que ces risques étaient exagérés par rapport aux risques que de jeunes Américains avaient pris lors du débarquement sur les côtes de Normandie.
La Joconde voyagera encore au Japon en 1974 pour améliorer les relations avec Tokyo alors que le Japon s’oppose aux essais nucléaires entrepris par la France dans l’océan Pacifique, le tableau échappe à une tentative de dégradation, mais il s’agit d’un succès pour l’exposition qui a réuni 1,5 millions de visiteurs en à peine quatre mois. Le tableau est aussi exposé à Moscou après que les Soviétiques aient accepté que l’avion ramenant la Joconde du Japon fasse escale sur leur sol. Ce sera le dernier voyage du chef d’œuvre de Léonard de Vinci.
Vers un rapprochement avec le Royaume-Uni
Par sa décision, le Président Macron souhaite s’inscrire dans la lignée de ses prédécesseurs et utiliser la tapisserie de Bayeux à des fins diplomatiques. Depuis le référendum qui a acté le Brexit en 2016, Paris cherche à renforcer ses relations avec Londres, un partenaire majeur pour la sécurité de l’Europe.
Tout au long du 20e siècle, les Anglais et Français ont coopéré à travers « l’Entente Cordiale » et ont combattu ensemble que ce soit lors de la 1e et la 2e guerre mondiale. Par la suite, le Royaume-Uni et la France, toutes les deux puissances nucléaires, ont défendu, au sein de l’OTAN, une Europe libre durant la Guerre froide. Après la guerre au Kosovo, les deux puissances ont accru leur coopération au Sommet de Saint Malo en 1998 pour donner une défense autonome à l’Union Européenne. En 2010, le Président Nicolas Sarkozy et le Premier ministre David Cameron signent les accords de Lancaster House qui concernent l’emploi de l’arme nucléaire et la coopération militaire. En juillet 2025, lors du sommet franco-britannique, les deux Etats ont encore renforcé leur coopération militaire en annonçant vouloir coordonner leurs forces nucléaires face à une menace extérieure. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, et la relative indifférence de la présidence américaine pour les affaires européennes, poussent Français et Britanniques à renforcer leur partenariat. Le Président Macron connait l’attachement du peuple britannique pour leur histoire et notamment la symbolique portée par la tapisserie de Bayeux.
Selon Emmanuel Macron, les risques liés à ce prêt ne sont pas aussi élevés que ceux d’une Europe désunie face à « l’ogre russe ». La tapisserie de Bayeux, mille ans après sa création, pourrait célébrer une union des forces franco-britanniques contre la menace d’un désordre en Europe.
Sebastien GOULARD
Sébastien Goulard est consultant chez Cooperans, cabinet de conseil spécialisé en relations internationales.
Il est également le fondateur de Diplomarty.
Sébastien Goulard est titulaire d’un doctorat en études de développement régional de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il a participé à plusieurs programmes de recherche européens axés sur l’urbanisation durable en Chine.